samedi 17 juillet 2010

Rencontre avec Benoît Caudoux. Ne parlons pas que de la pluie et du beau temps.

Jeudi 1er juillet, 14 h 20. Benoît Caudoux corrige des copies du bac de philo dans le bar du Vieux-Lille où nous avons rendez-vous. Il pose son stylo pour parler de son roman, Sur quatorze façons d’aller dans le même café. Il y relate la quête de sens d’un homme déprimé par le manque d'humanité. Au café, il cherche à provoquer des rencontres qui vont au-délà du seul mouvement de façade. Fera-t-il tomber les murs ?

L’histoire. Sur quatorze façons d’aller dans le même café est le récit d’un voyage... au bistrot du coin. C’est un voyage, car le narrateur s’aventure hors des lieux communs. Dans un souci de fidélité, il refuse de tenir des propos sur lesquels tout le monde se retrouve et observe ce que ça provoque. Il cherche à réduire les distances qu’on met entre nous. On se parle sans être habité par ce qu’on articule, comme ça, chacun reste chez soi. C’est une sorte de logique sécuritaire. Lui, cherche à franchir le pas. Il joue d’une certaine étrangeté en espérant que l’autre laisse enfin échapper une expression non contrôlée et plus authentique de soi.



Benoît Caudoux, votre héros va au café, alors qu’il n’a pas le goût de la boisson. Qu’y cherche-t-il ?

« Il va chercher la rencontre du semblable. Il va chercher la vérité au café du coin. Il échoue assez souvent et ça renouvelle le truc. Il prend acte de ses échecs pour repartir. Ce sont plus des échecs sur les six premières tentatives et après, ça progresse. Les dernières façons sont un peu plus heureuses. Ce n’est pas un livre sur l’impossibilité des rapports humains. »


Poutant, ce rapport à l’autre n’est pas évident pour vous, non ?

« Oui, c’est un livre sur la difficulté de se comprendre. L’écriture, elle vient de là. On écrit de la littérature à partir de la difficulté de communiquer. On écrit parce qu’on lutte avec l’épaisseur du langage qui empêche qu’on puisse parler et s’exprimer. Ce n’est pas facile, c’est pour cette raison qu’on en vient à essayer dans son coin. »


Votre personnage dit que si ça ne tenait qu’à lui, comme on le ferait d’un dessert, il priverait les autres de monde. Pourquoi ?

« Il est excèdé à ce moment-là parce que tout le monde ne parle que de faits. Du bavardage, on en a besoin, on ne peut pas toujours être dans l’essentiel, mais c’est bon de savoir que l’autre est le même et qu’il y a quelque chose qui nous relie. S’il n’y avait plus le monde, on serait plus recentrer sur quelque chose d’un peu plus humain. Le monde est un excellent prétexte pour fuir notre réalité qui est d’être une conscience ».


Il croise un homme qui fabrique des machines bancales et qui bosse chez un opérateur de téléphonie mobile... Pour le coup, lui semble vraiment communiquer, non ?

« Oui, parce qu’il fait l’effort de ressentir vraiment les choses. Pourtant, il ne parle pas d’art, il ne théorise pas. Il parle de son job... Le but, ce n’est pas de dire qu’il y a des gens biens et des gens pas biens. Le but, c’est comment arriver à faire parler les autres sans se cacher derrière des montagnes d’opinions. Ce qu’il y a de pire dans le bavardage, c’est qu’on sait que l’autre s’en fout. Lui a cette étincelle à respecter un peu plus la vérité. Il fait aussi advenir de la vérité dans le discours des autres. C’est à partir de là que le narrateur sort de l’échec. »


Au début du livre, le héros marche dans la rue et tout lui semble incertain. Est-ce qu’il cherche à conjurer ce malaise dans la relation à l’autre ?

« Il cherche un sentiment d’appartenance, de partage, mais il joue aussi. Il joue de cette étrangeté. Il en souffre d’abord, mais il choisit de la pousser jusqu’à l’extrême en disant faisons comme si on était sur un terrain d’étude. Ce n’est pas une bête souffrante et révoltée. Il y a l’idée qu’on s’entoure de murs, parce qu’on veut à tout prix s’identifier. « Attention, moi je ne suis pas comme toi », « Dis-moi quel est ton lieu commun et je te dirais qui tu es ». Lui, refuse de s’identifier. C’est son jeu de se maintenir dans le flottement. Si je ne me construit pas un masque, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je peux être sans me construire d’identité figée ? »


Le café est une sorte de laboratoire ?

« Oui, tout à fait. Il joue, mais ce n’est pas artificiel au sens où il en a besoin. On est devant quelqu’un, on lance un truc et on voit ce qui revient. Si on rit des même choses, on se touche, ça veut dire qu’on est le même. Si on ne veut pas s’enfermer dans un esprit de sérieux où on dit moi je suis ça et je pense ça, alors du coup, on est obligé de jouer, d’inventer. »


Qu’est-ce que la vraie relation ?

« La vraie relation, c’est accepter que l’autre puisse me changer. Tout le monde est tellement obsédé par l’idée de dire qui il est qu’on construit des murs. On s’enferme ainsi. On doit plus avoir une identité qui ne soit pas trop rigide, mais qui change et qui soit disponible. C’est ça être présent. Être au monde, c’est être affecté par lui. Si je veux être présent aux choses, il faut que j’accepte de ne pas être un bloc autonome. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 23/07/10.


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