mardi 29 juin 2010

Rencontre avec Jean-Louis Fournier. Dans son dernier roman, Poète et paysan, il se souvient de son passé d'ouvrier agricole.

Mardi 15 juin 2010 à 15 h. Jean-Louis Fournier entre dans les locaux de l’hebdomadaire Croix du Nord, à Lille. Réalisateur de télévision et écrivain, il a notamment tourné La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, l’émission avec Pierre Desproges. Il vient de publier Poète et paysan chez Stock, un roman autobiographique. Dans ce livre drôle, il parle de lui, mais aussi de nous. En effet, bien souvent, nos passions nous égarent. Pourtant, nous sommes prêts à tout leur sacrifier, avant d’être ramené, souvent brutalement, à la réalité…
L’histoire. Un étudiant exalté, par passion pour une fille d’agriculteur, décide de reprendre l’exploitation familiale. Le seul hic, c’est qu’il n’est pas du tout préparé à la réalité du métier. Mais rien y fait, il abandonne tout pour cette tocade. Il délaisse la vie parisienne, les expositions, le cinéma, ses études, pour devenir agriculteur dans une ferme du Pas-de-Calais. S’est-il fait un film ? Sa nouvelle vie commence… par le commencement : ouvrier agricole. Il découvre alors que « quand le poète rime, le paysan trime ».

Jean-Louis Fournier, on vous connait écrivain, réalisateur. Ouvrier agricole, on ne savait pas. On a l’impression que cette parenthèse de votre vie est un mystère pour vous aussi…
« C’est-à-dire un mystère… ? »

C’est-à-dire que vous ne comprenez pas comment vous avez pu faire ça…
« Oui… parce que j’ai dû prendre cette décision dans un état second et qu’après j’ai dû assumer, parce que j’avais décidé de faire ça. Mais c’est vrai que je n’ai pas encore bien compris pourquoi j’avais accepté. Si j’avais eu toute ma lucidité, il est évident que je n’aurais pas choisi de partir être ouvrier agricole dans le Nord de la France, compte tenu que j’ai toutes les qualités pour ne pas l’être. Je suis l’inverse de ce que pourrais être un bon agriculteur. »

Pourtant, sur la couverture, vous écrivez « Jean-Louis Fournier est capable de tout »…
« Ah ! ce n’est pas moi qui ai écrit ça, c’est l’éditeur ».

À la lecture de cette phrase, on pourrait pensez que vous ne doutiez de rien, alors qu’en vérité, vous n’étiez sûr de rien…
« Vous avez tout à fait raison, je doute de tout et j’espère rester jusqu’à la fin de mes jours dans le doute. Le doute, c’est quelque chose d’extraordinaire. Oscar Wilde a dit : « Quand on a des certitudes, on arrête de penser. Quand on a des doutes, on continue à chercher ». Je continue donc à chercher et à ne pas trouver ».

Vous étiez un peu paumé. Est-ce que vous pensez qu’il faille se perdre pour se trouver ?
« C’est vraisemblable. C’est en prenant des tas de chemins buissonniers qu’on risque de trouver tout d’un coup le vrai chemin. Le vrai chemin, il n’est jamais aussi évident… Je ne pense pas que ce soit l’autoroute, le vrai chemin. Donc, c’est aller chercher ailleurs… (il réfléchit) Et puis, qu’est-ce qu’on trouve ? Est-ce qu’on trouve ? Moi, je n’ai encore rien trouvé. On essaie d’être heureux, c’est le devoir de tous les êtres humains. C’est ce que j’ai essayé d’être avec plus ou moins de bonheur. Moi, je pense toujours que je vais être heureux demain. Mais demain, c’est toujours demain… »

Dans le livre, vous enviez le bonheur d’une vache. Elle n’est que ce qu’elle est, mais elle sait où est sa place dans l’ordre des choses…
« J’adore les vaches… La vache, elle ne se révolte pas. La vache, elle est calme. Elle rumine… elle a l’air de vivre en harmonie avec tout le monde. Elle ne s’indigne pas. J’ai l’impression même qu’elle vit en harmonie avec les bouchers. C’est quand même de sa part une grande générosité, parce que le boucher la découpe. Moi, je serais une vache, je ne serais pas ami des bouchers. »

Enviez-vous un peu son fatalisme ?
« Oui, un peu, même si je n’aime pas le mot. Il faut arrêter de vouloir tout changer. On n’arrive à rien changer. Il faut accepter le monde comme il est. Moi, j’ai toujours voulu tout changer, mais j’ai l’impression qu’il faut faire avec et c’est comme ça. On peut quand même trouver des moments de bonheur ainsi… »

Diriez-vous donc que la maturité, c’est être désillusionné ?
« La maturité, je ne sais pas très bien ce que c’est. J’espère ne jamais avoir la maturité, parce que ceux qui l’ont sont assez ennuyeux. J’aime bien rêver toujours. Imaginer des choses impossibles. Mon ami Desproges parlait de la maturité… Il disait « T’est mûr et puis après t’est pourri ». C’est très compliqué… La maturité, c’est accepter le monde, moi, il y a des tas de choses que je n’accepte pas. »

Dans ce roman, vous sublimez sans cesse la vie, les paysages deviennent des tableaux de maîtres, la machine à tricoter un clavecin, comme si vous n’acceptiez pas sa banalité…
« Oui, c’est pas possible ça… J’aime bien un peu transformer tout. Je ne supporte pas la platitude de la réalité, alors j’essaie de l’enjoliver. Cela dit, il y a une réalité que je ne me sens pas capable, ni obliger d’enjoliver, c’est la nature que je trouve exceptionnelle. Par moment, je décris une nature qui est un peu hostile et en même temps, j’ai une admiration forcenée pour la beauté du monde.
La nature, c’est quelque chose d’excessivement important. Elle garde un pouvoir formidable. Les plantes, les arbres, c’est fascinant. C’est un réservoir de choses exceptionnelles et de vacheries aussi. Ce n’est pas une bonne fée non plus. C’est ça que j’ai voulu montrer dans mon livre. Le cultivateur, ce n’est pas quelqu’un qui regarde pousser ses plantes en remerciant le ciel. Il bosse comme un fou. »

Nietzsche, un philosophe, pensait que l’illusion est un besoin. Qu’en dites-vous ?
« Bah, bravo Nietzsche ! Je trouve que c’est très important. En plus, la réalité, qu’est-ce que c’est ? Chacun voit une réalité différente. Un champ pour un cultivateur, c’est pas un champ vu par un poète et c’est pas un champ vu par un peintre. Il voit chacun champ différent. Moi, quand je vois les choses, j’ai tendance à mettre des mots pour les décrire. Ce que je décris en mots est plus vrai que les choses qui existent. Et c’est ça qui est formidable dans la littérature. On éternise des choses extraordinaires. »

Le paysan n’est pas dans cette démarche. Pour lui, une vache est une vache…
« Je pense qu’il ne poétise pas la réalité comme je le fais. Il a une réponse objective à apporter. Une vache, c’est fait pour faire du lait, les champs pour faire du blé. La nature est réduite à quelque chose qui doit produire. Il doit l’utiliser au mieux, mais il ne s’offre pas le luxe de poétiser comme moi. Quand le poète rime, le paysan trime. On ne peut sans doute pas faire les deux en même temps. Moi, j’étais plus là pour rimer. Cela dit, j’ai quand même nettoyé la litière des vaches… »

Propos recueillis par Sébastien Arnold
Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 02/07/2010
Crédit photo : Émmanuelle Hauguel