jeudi 29 juillet 2010

Coup de téléphone à Anne Mémet-Scrive. « La légende des Scrive », le roman anticonformiste d’une grande famille lilloise.


Anne Mémet-Scrive est née à Marcq-en-Barœul en 1945. Elle grandit à Mons, puis fait des études de maths à Villeneuve-d’Ascq, avant d’enseigner à Douai. Elle part ensuite dans la Nièvre, où avec son mari, elle élève des chèvres pendant une quinzaine d’années, tout en conservant son poste de professeur. Retraitée, elle vit aujourd’hui à Évian, où elle trouve enfin le temps d’écrire. Vendredi 9 juillet, nous nous entretenons par téléphone de son roman, La Légende des Scrive. Dans l’épilogue de celui-ci, elle explique : « Au départ, j’avais envie de m’inventer de tendres et nobles ancêtres, des ancêtres dans lesquels je me retrouve un tant soit peu ».

L’histoire. Au XIXe siècle, Antoine Scrive importe clandestinement d’Angleterre une machine à filer le lin. C’est le début d’un siècle et demi d’aventure économique qui va inscrire le nom des Scrive dans l’histoire du Nord de la France. Que de chemin parcouru depuis le XIVe siècle, en Italie, où un jeune homme quitte son village pour Florence, où il se fait un nom, Antonio Scrivia, et une spécialité, l’orfèvrerie. Avant de mourir, il laisse une lettre à son petit-fils, où il lui raconte sa vie et lui donne des conseils. De siècle en siècle, ses descendants perpétuent cette tradition épistolaire. C'est au fil de ces courriers entre pères et fils qu'Anne Mémet-Scrive réécrit librement l’histoire de sa famille, entre fiction et réalité.

Anne Mémet-Scrive, qu’est-ce que représente pour vous la renommée de votre famille ?

« Ça m’impressionne et à la fois, j’ai envie de dire que j’ai quitté le Nord pour m’éloigner de ce milieu bourgeois, dans lequel probablement je n’étais pas très bien ».

Est-ce que vous sentiez que ce nom changeait le regard qu’on portait sur vous ? À l’école, par exemple...

« C’était pesant, parce que j’étais dans des établissements religieux, où il y avait toutes ces demoiselles de la bourgeoisie et je ne me sentais pas toujours à ma place... Pour moi, c’était pesant. Je ne peux pas dire ni pourquoi, ni comment... »

La Légende des Scrive n’est donc pas un travail de mémoire ?

« Pas du tout. »

Qu’est-ce qui vous a donnée envie de l’écrire?

« Ce n’est pas mon premier livre. J’en ai écrit un autre qui a été publié en 2002. C’était le récit de mon pélerinage à Compostelle. J’ai aussi écrit des petites nouvelles, participé à des concours, où je me suis classée quelques fois. C’est là que j’ai réalisé que j’avais un outils à ma disposition. Outil auquel je ne croyais pas trop, étant prof de maths. En fait, ça me démange d’écrire. »

Au début de votre livre, vous prévenez que « l’imaginaire vient au secours du réel ». Que vouliez-vous dire ?

« En fait, il existe déjà une généalogie de la famille qui a été établie dans les années 1880, puis complétée au fur et à mesure. C’est dans ce livre d’ailleurs qu’ont été trouvées les photos de la couverture de mon roman. Donc, on a la généalogie de toute la famille. Il y a pas mal d’histoires écrites sur elle à partir de 1820. Au-delà, il y a une liste d’ancêtres pour lesquels on a seulement les dates, les noms, les métiers et les épouses. Ce sont eux que j’ai eu envie de faire revivre, parce que de ceux-là, on ne sait rien ».

Vous vous imaginez donc des ancêtres à votre façon...

« Voilà, c’est ça. C’est plus un roman qu’un ouvrage historique ».

On sent que chacune de ces « existences » est l’occasion de glisser des leçons de vie, notamment vis-vis de la famille...

« Oui. Dans mon idée, il faut quitter la famille pour se réaliser. Moi, je suis partie.»

Recueilli par Sébastien Arnold

Interview parue dans Croix du Nord le 30/07/2010.

> Aux éditions Ravet-Anceau, 15 euros.


samedi 17 juillet 2010

Rencontre avec Benoît Caudoux. Ne parlons pas que de la pluie et du beau temps.

Jeudi 1er juillet, 14 h 20. Benoît Caudoux corrige des copies du bac de philo dans le bar du Vieux-Lille où nous avons rendez-vous. Il pose son stylo pour parler de son roman, Sur quatorze façons d’aller dans le même café. Il y relate la quête de sens d’un homme déprimé par le manque d'humanité. Au café, il cherche à provoquer des rencontres qui vont au-délà du seul mouvement de façade. Fera-t-il tomber les murs ?

L’histoire. Sur quatorze façons d’aller dans le même café est le récit d’un voyage... au bistrot du coin. C’est un voyage, car le narrateur s’aventure hors des lieux communs. Dans un souci de fidélité, il refuse de tenir des propos sur lesquels tout le monde se retrouve et observe ce que ça provoque. Il cherche à réduire les distances qu’on met entre nous. On se parle sans être habité par ce qu’on articule, comme ça, chacun reste chez soi. C’est une sorte de logique sécuritaire. Lui, cherche à franchir le pas. Il joue d’une certaine étrangeté en espérant que l’autre laisse enfin échapper une expression non contrôlée et plus authentique de soi.



Benoît Caudoux, votre héros va au café, alors qu’il n’a pas le goût de la boisson. Qu’y cherche-t-il ?

« Il va chercher la rencontre du semblable. Il va chercher la vérité au café du coin. Il échoue assez souvent et ça renouvelle le truc. Il prend acte de ses échecs pour repartir. Ce sont plus des échecs sur les six premières tentatives et après, ça progresse. Les dernières façons sont un peu plus heureuses. Ce n’est pas un livre sur l’impossibilité des rapports humains. »


Poutant, ce rapport à l’autre n’est pas évident pour vous, non ?

« Oui, c’est un livre sur la difficulté de se comprendre. L’écriture, elle vient de là. On écrit de la littérature à partir de la difficulté de communiquer. On écrit parce qu’on lutte avec l’épaisseur du langage qui empêche qu’on puisse parler et s’exprimer. Ce n’est pas facile, c’est pour cette raison qu’on en vient à essayer dans son coin. »


Votre personnage dit que si ça ne tenait qu’à lui, comme on le ferait d’un dessert, il priverait les autres de monde. Pourquoi ?

« Il est excèdé à ce moment-là parce que tout le monde ne parle que de faits. Du bavardage, on en a besoin, on ne peut pas toujours être dans l’essentiel, mais c’est bon de savoir que l’autre est le même et qu’il y a quelque chose qui nous relie. S’il n’y avait plus le monde, on serait plus recentrer sur quelque chose d’un peu plus humain. Le monde est un excellent prétexte pour fuir notre réalité qui est d’être une conscience ».


Il croise un homme qui fabrique des machines bancales et qui bosse chez un opérateur de téléphonie mobile... Pour le coup, lui semble vraiment communiquer, non ?

« Oui, parce qu’il fait l’effort de ressentir vraiment les choses. Pourtant, il ne parle pas d’art, il ne théorise pas. Il parle de son job... Le but, ce n’est pas de dire qu’il y a des gens biens et des gens pas biens. Le but, c’est comment arriver à faire parler les autres sans se cacher derrière des montagnes d’opinions. Ce qu’il y a de pire dans le bavardage, c’est qu’on sait que l’autre s’en fout. Lui a cette étincelle à respecter un peu plus la vérité. Il fait aussi advenir de la vérité dans le discours des autres. C’est à partir de là que le narrateur sort de l’échec. »


Au début du livre, le héros marche dans la rue et tout lui semble incertain. Est-ce qu’il cherche à conjurer ce malaise dans la relation à l’autre ?

« Il cherche un sentiment d’appartenance, de partage, mais il joue aussi. Il joue de cette étrangeté. Il en souffre d’abord, mais il choisit de la pousser jusqu’à l’extrême en disant faisons comme si on était sur un terrain d’étude. Ce n’est pas une bête souffrante et révoltée. Il y a l’idée qu’on s’entoure de murs, parce qu’on veut à tout prix s’identifier. « Attention, moi je ne suis pas comme toi », « Dis-moi quel est ton lieu commun et je te dirais qui tu es ». Lui, refuse de s’identifier. C’est son jeu de se maintenir dans le flottement. Si je ne me construit pas un masque, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je peux être sans me construire d’identité figée ? »


Le café est une sorte de laboratoire ?

« Oui, tout à fait. Il joue, mais ce n’est pas artificiel au sens où il en a besoin. On est devant quelqu’un, on lance un truc et on voit ce qui revient. Si on rit des même choses, on se touche, ça veut dire qu’on est le même. Si on ne veut pas s’enfermer dans un esprit de sérieux où on dit moi je suis ça et je pense ça, alors du coup, on est obligé de jouer, d’inventer. »


Qu’est-ce que la vraie relation ?

« La vraie relation, c’est accepter que l’autre puisse me changer. Tout le monde est tellement obsédé par l’idée de dire qui il est qu’on construit des murs. On s’enferme ainsi. On doit plus avoir une identité qui ne soit pas trop rigide, mais qui change et qui soit disponible. C’est ça être présent. Être au monde, c’est être affecté par lui. Si je veux être présent aux choses, il faut que j’accepte de ne pas être un bloc autonome. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 23/07/10.


mercredi 14 juillet 2010

J. Wouters nous éclaire sur son dernier livre. Gravelines blues est un polar à l’ambiance électrique.

J. Wouters vit à Gravelines. Professeur de français à la retraite, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. Nous avons rendez-vous au bar Le 116, près du phare. On retrouve l’établissement dans Gravelines blues, son dernier roman, dont l’intrigue se déroule dans la microsociété des salariés d’une entreprise d’électricté, où imperceptiblement, la tension monte.

L'histoire. Fin de saison touristique agitée à Gravelines. Zélie, une mamie, est agressée dans sa cabane de plage. Un individu tente de perturber le son et lumière de la ville. Le lieutenant de police Jules Baudion, en vacances sur la côte, essaie de tirer ça au clair. Pour cela, il se fond dans la vie des habitants. Il se lie notamment avec Valentine et son petit-fils Martial. Son attention se centralise bientôt sur la Métafor and co, où travaille ce dernier. C’est une imprimerie qui produit sa propre électricité grâce à un réacteur nucléaire. Plusieurs pistes se dessinent : les écologistes, les chasseurs, à moins que l’explication de cette agitation soit beaucoup plus élémentaire...



J. Wouters, qu’est-ce qui vous plaît dans le genre littéraire polar ?

« Beaucoup de choses. Le sang, le meurtre en lui-même, je n’aime pas. Mais je suis intéressée par la question suivante : pourquoi et comment devient-on un assassin ? C’est ce qui me fait marcher. Je me rend compte qu’il ne faut pas grand-chose quelque fois pour basculer dans le meurtre. »


C’est un roman très gravelinois, mais il dépeint des passions qui sont universelles...

« Tout à fait. Le polar justement permet une analyse non seulement des ressors psychologiques qui font qu’à un moment donné on bascule dans le meurtre, mais ça permet aussi l’analyse d’un milieu. Ici, j’analyse l’univers des gens qui travaillent dans une centrale. »


Diriez-vous que le coeur humain est aussi instable que le cœur de la centrale de Gravelines ?

« J’espère quand même que le réacteur est très solide... Disons qu’un coeur humain peut avoir des ratés, comme peut en avoir un réacteur nucléaire. Mais bon, ici notre réacteur ne fabrique pas la bombe atomique non plus... D’ailleurs, j’ai déplacé le problème, je ne suis pas dans la centrale, mais dans l’environnement d’une grande imprimerie fictive, la Metafor and co, qui a un réacteur nucléaire. »


Il y a toujours chez l’autre quelque chose d’irréductible qui échappe à notre regard. Le boulot de l’écrivain, n’est-ce pas de deviner ces réactions imperceptibles ?

« Oui... C’est essayer de voir ce qui est habituellement caché. Je crois que c’est ça. Après si c’est juste, je ne sais pas, mais il y a parfois des correspondances étonnantes. »


Alors, comment peut-on en arriver à tuer ? Comment ça finit par exploser ?

« C’est toujours un sentiment exacerbé qui fait qu’on passe à l’acte. Dans mes romans, c’est souvent un sentiment de haine ou d’amour. Dans la mythologie, il y a plein de meurtres qui sont commis à cause d’une volonté exacerbée d’exercer le pouvoir. Ça vient d’un sentiment qui a moment donné devient tellement insupportable qu’il ne peut être surmonter autrement que par la suppression de celui qui est en face de soi. Le polar a pris le rôle du théâtre du XVIIe siècle. Il a un rôle de catharsis. On était comme soulagé de pouvoir voir tuer son voisin sur la scène. Dans le polar, ça fait du bien au lecteur, et à l’auteur, de faire ce qu’il ne pourra jamais faire dans la vie, parce qu’il y a des règles sociales et morales. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée dans Croix du Nord le 16/07/10.

vendredi 2 juillet 2010

Amélie Debaye présente son premier roman. Dans Les Sœurs Fernig, elle retrace l’épopée de deux héroïnes de la Révolution.

Amélie Debaye vit à Escautpont. Le 18 juin, nous avons rendez-vous sur la place d’Armes à Valenciennes. Une date et un lieu de circonstance. Dans un café, nous évoquons son roman, Les Sœurs Fernig, consacré à deux jeunes Nordistes qui prirent les armes pour résister à l'oppression durant la révolution française.
Amélie Debaye est très attachée au Nord. Elle n’apprécie pas l’image que trop souvent les gens en ont. Dans ce livre, elle montre que « l’histoire de la région ne s’arrête pas à Germinal ».
L'histoire. En 1792, trois ans après la prise de la Bastille, l’armée autrichienne est aux frontières. Dans ses rangs, les royalistes français qui ont fui le pays rêvent de rétablir la monarchie et leurs privilèges. Les citoyens prennent les armes pour résister. Près de Valenciennes, les accrochages avec l’ennemi sont nombreux. Deux adolescentes de Mortagne-du-Nord, Félicité et Théophile Fernig, se déguisent en homme pour pouvoir participer aux combats. Bientôt, elles se font remarquer par leur témérité. Des frontières du Nord à la bataille de Valmy, elles iront jusqu’au bout.

Amélie Debaye, comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?
« J’aime beaucoup l’histoire et surtout l’histoire de la région. C’est dans un petit paragraphe du livre de Raymond Durut, Bruay-sur-l’Escaut à travers douze siècle d’histoire que j’ai entendu pour la première fois parler des sœurs Fernig. Mon grand-père est de Mortagne comme elles. On aimait beaucoup aller là-bas et je ne savais pas qu’elles existaient. C’est de là qu’est venu mon intérêt. En plus, c’était des femmes-soldats... Elles ont eu un destin extraordinaire et j’avais envie de le raconter. »

Vous avez dû faire un véritable travail d’historienne, non ?
« Oui, j’ai fait des recherches avec le Cercle historique de Mortagne, dans les livres d’histoire, dans les archives du Nord, dans celles de Valenciennes aussi... Mais comme ça m’intéresse vraiment, pour moi, ce n'est pas du travail. Aller aux archives, j’adore ça, lire, j’adore ça. »

Qu’est-ce que vous aimez lire ?
« J’aime beaucoup Alexandre Dumas. Les auteurs du XIXe... Les auteurs historiques également... En fait, je me reconnais plus dans le XIXe siècle que dans l’époque actuelle. Mon livre de chevet, c’est Le Comte de Monte-Cristo. Si ma maison devait brûler, j’emporterais ce livre. »

Le roman historique mêle des faits réels et des faits imaginaires. Dans quelle mesure avez-vous romancé ?
« Les grands faits historiques y sont, mais c’est vrai que pour la vie de tous les jours, c’était difficile. Il fallait les imaginer dans leur époque. Mais je ne pense pas non plus qu’il y ait une grande différence avec aujourd’hui. Je pense c’était des gens qui vivaient comme nous. Les historiens parlent de faits historiques, auxquels ils n'ont pas assisté. C’est toujours une interprétation. »

Vous dites qu'elles vivaient comme nous, mais elles avaient une énergie que nous n’avons pas...
« C’était l’époque. La Révolution pour beaucoup de gens, c’est Robespierre, la guillotine, mais ce n’est pas que ça. Il faut rendre hommage à cette génération qui voulait changer les choses. Il fallait voir ce que c’était avant : les impôts, les privilèges, etc. Je pense qu’on l’oublie un peu facilement. »

On a l’impression que les sœurs Fernig obéissaient à une force qui les dépassait. Félicité, l'aînée, dit d’ailleurs que « ses jambes n’avaient pas besoin de sa tête pour avancer »...
« C’était le mouvement général de la Révolution. Il y a eu en masse des jeunes qui sont partis se battre. Le mot Liberté, aujourd’hui on a oublié ce qu’il voulait dire, mais à cette époque-là, il façonnait. »

Est-ce que cet élan irrésistible ne leur a pas également joué des tours ?
« À cette période, tout bougeait très vite. Elles étaient proche du général Dumouriez. C’était comme un père pour elles. Elles l'ont suivi sans réfléchir. Elles n’ont pas réalisé tout de suite ce qu’elles faisaient... On parle de la trahison de Dumouriez, mais moi, je ne vois pas ça comme une trahison. »

Les Autrichiens les imaginaient comme des sorcières...
« Oui, elles faisaient peur. Même après, quand elles ont voulu revenir à Mortagne, les Français n’ont pas voulu d’elles, parce qu’ils avaient peur de l’influence qu’elles pourraient avoir dans l'armée. »

Elles étaient femmes-soldats, étaient-elles aussi des suffragettes ?
« On va dire qu'elles ont été élevées un peu plus librement que les filles de l’époque. Elles ont pris les armes en même temps que les hommes. Pour elles, je pense qu’il n’y avait pas de différence entre être un homme et une femme. Il fallait y aller. Elles étaient pour l’égalité.»

Recueilli par Sébastien Arnold
Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 09/07/2010.