jeudi 2 septembre 2010

Lucien Suel présente « La Patience de Mauricette ». Dans son roman, il vole au-dessus des clichés sur la psychiatrie.

Lucien Suel publie de la poésie depuis trente ans. Son premier roman, Mort d’un jardinier, est paru en 2008. Dans le même temps, il est invité à faire une résidence de six mois à l’Établissement public de santé mentale d’Armentières pour produire une œuvre littéraire qui parle du traitement de la douleur mentale. L’aboutissement de ce projet prendra la forme d’un second roman. La Patience de Mauricette raconte le passage d’une femme dépressive à l’hôpital psychiatrique.

L’histoire. Mauricette Beaussart a disparu de l’hôpital. On prévient Christophe Moreel, un proche, de sa disparition. Même lui ne sait pas où elle est. Mauricette est une femme secrète et dépressive chronique. Christophe l’a conduite à l’hôpital d’Armentières, après l’avoir découverte en crise chez elle. Prise en charge par les médecins du secteur G18, elle y retrouve sa lucidité avant de disparaître. Au travers d’extraits du cahier que lui a donné une psychologue et de flash-back, on découvre la vie de cette ancienne institutrice. Sa rencontre avec Christophe, son enfance entre Deûlémont et Haverskerque, l’amitié secrète qui explique sa disparition, jusqu’à la faute insurmontable devant laquelle son esprit s’effondre régulièrement...

Lucien Suel, comment s’est déroulée votre immersion dans l’hôpital ?

« J’avais un bureau à l’étage du G18. C’est un service de psychiatrie générale qui accueille une trentaine de patients. J’avais les clés et je pouvais me promener librement. Je pouvais assister aux réunions de l’équipe où on discutait des cas. Ça me donnait des indications pour ne pas inventer. J’ai participé aux exercices. J’allais régulièrement dans la salle d’arts plastiques. J’ai fait le jardin avec eux. J’ai vraiment partagé la vie de l’équipe. »


Vous donnez une image moderne de la psychiatrie...

« Je ne prétends pas que c’est comme ça partout, mais dans le service où je me trouvais, la description est réelle. C’est comme ça que ça se passait. Ce qui m’a frappé, c’est une réelle attention du personnel, aussi bien pour les patients que pour leur famille. Ce livre n’est pas un roman de commande. »


À l’hôpital, Mauricette va et vient. Vous décrivez un lieu ouvert...

« Je sais qu’il y a un secteur qui est totalement ouvert, où le médecin-chef refuse que les portes soient fermées à clés. Là où j’étais, au G18, il y a avait un règlement qui faisait que la nuit, c’était fermé. Mais dans la journée, certains patients vont en ville, accompagnés ou seuls. On n'est pas dans l’enfermement généralisé. N’importe qui peut aller se balader dans le parc de l’hôpital. La psychiatrie a évolué et va encore évoluer. »


On a encore cette image : on sait quand on entre, pas quand on ressort...

« Je savais que j’avais une image fausse de l’hôpital, mais je ne pensais pas qu’elle était fausse à ce point-là. Les gens qui sont internés, même d’office... ça existe encore à la demande de la famille ou du préfet, ne le sont jamais plus de trois semaines. Après, soit ils partent dans un autre circuit, soit ils retournent à la vie normale. Ce que j’ai appris aussi, c’est que 90 % de l’action se fait hors de l’hôpital, dans les appartements thérapeutiques, les maisons communautaires, les hôpitaux de jour, etc. Le personnel soignant est toujours en déplacement... »


Quand Mauricette disparaît, ça ne déclenche pas d’inquiétude ...

« Oui, c’est la vie quotidienne du service de psychiatrie générale. Maintenant, dans l’établissement, il y a lieu fermé appelé l’Intersecteur, où on accueille des gens qui ne peuvent pas vivre en société. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée dans Croix du Nord le 27/08/2010.

Aux éditions de La Table Ronde, 18 euros.





samedi 14 août 2010

Rencontre avec Carole Fives. Dans « Quand nous serons heureux », elle dépeint un bonheur en trompe-l'œil.

Carole Fives habite près de Lille. Dans sa maison, des toiles sont entreposées un peu partout. Ancienne élève des Beaux-Arts, pour elle, la peinture et l'écriture sont liées. Elle a commencé par écrire sur ses toiles avant de se lancer en littérature. Quand nous serons heureux, son premier roman publié, est une peinture de nos vies modernes, tournées toutes entières vers l'épanouissement personnel, au point que celui-ci devient un souci constant, une obsession et finalement, une cause d'angoisse.
L'histoire. Quand nous serons heureux rassemble une trentaine de petites histoires. Avec humour, Carole Fives croque des personnages qui cherchent à correspondre à une idée stéréotypée du bonheur. N'est-ce pas paradoxal d'accepter de souffrir pour être heureux ? Les remèdes sont parfois pire que les maux... C'est ce que comprend cette mère malheureuse qui ne rentre pas chez elle un soir. Elle délaisse sa famille. Elle se dit : « Ne pas aimer mais avoir malgré tout essayé, voilà ma première grande erreur. » C'est aussi l'histoire de cette jeune femme qui se trouve laide et qui recourt à la chirurgie esthétique. Elle veut qu'on la regarde. C'est réussi, mais elle sent qu'on ne la voit pas elle, mais sa plastique. Elle découvre qu'au final se faire siffler dans la rue n'est pas très épanouissant...

Carole fives, en écrivant ce ce livre, quelle était votre première intention ?

« C’était de croquer des gens avec des choses que je perçois quand je les rencontre. C’est essayer de les percer à jour en me mettant dans leur peau et en prenant la parole à leur place pendant quelques pages. »


C’est donc une galerie de portraits, de destins qui se croisent...

« Ce sont trente monologues, tous isolés dans leur cas. Quand ils se croisent, c’est toujours de manière très superficielle. Ils sont juste une solitude à côté d’une autre solitude... »


Le titre Quand nous serons heureux semble indiquer que le bonheur, c’est toujours pour demain. Selon vous, au présent, on vit mal...

« Oui, c’est le cas pour la trentaine de protagonistes. Ils sont tous dans l’attente. Ce qui les rend malheureux, c’est de penser que ça va arriver demain. Ils pensent toujours qu’un jour viendra où ça ira mieux, que ça dépend d’un détail, de la relation avec le père, d’une opération de chirurgie esthétique, etc. Ils sont à la recherche d’un déclic et on se rend compte qu’ils ne sont pas forcément sur le bon chemin. »


N’est-ce pas leur quête de bonheur qui les rend malheureux ?

« Tout à fait. Ça correspond à la société d’aujourd’hui, à la publicité. Vous serez heureux quand vous aurez acheté telle bagnole, vous serez heureux le jour où, le jour où... Quand on a quelque chose, on ne s’en rend pas compte. C’est une quête effreinée qui est une cause de désespoir. »


On sent qu’aujourd’hui, il y a une obligation d’être heureux et une culpabilité à ne pas l’être, non ?

« Oui, c’est vrai. Si on n’est pas heureux, on est un looser. Il y a toujours une espèce de comparaison entre les gens. On pense toujours que c’est mieux chez les voisins. C’est un peu le fond très contemporain du livre. »


Vous vous amusez des gens qui se précipitent sur les livres de développemement personnel. Pourquoi ?

« Parce que c’est aller chercher des recettes toutes faites. On est dans une société dans laquelle on est toujours à la recherche d’astuces. Finalement, c’est consommer vite fait pour aller mieux très vite. Ça montre un état de grand désarroi, je trouve.»


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée dans Croix du Nord le 13/08/2010.

Aux éditions Le passage, 14 euros.


samedi 7 août 2010

Philippe Govart présente Bondues sans confession. Meurtres, promesses électorales et serments d’amour.

Le 16 juillet à 11 h du matin, Philippe Govart entre dans le bar où nous avons rendez-vous. Lunettes épaisses, blazer noir, l'allure débonnaire, il ressemble bien à un auteur de polar. Il se dit influencé par James Ellroy, Quentin Tarantino ou Michel Audiard. Son livre, Bondues sans confession, s’inscrit dans la pure tradition des romans noirs. Avec un humour décapant, il conte les mésaventures d’un homme en quête de rachat. Pour se faire pardonner d’une femme qu’il a trahie par le passé, il se retrouve mêlé à une sombre histoire de meurtres en pleine élection présidentielle.

L’histoire. Rainer Cloos est un photographe qui ne croit plus en rien. Un jour, Auloniade, un amour de jeunesse, lui demande un bien étrange service. Elle est en danger, il doit tuer un dénommé Silure pour la protéger. Plutôt louche... Il n’est pas très fier de l’avoir abandonnée par le passé. Même s’il refuse de lui rendre ce « service », il décide de surveiller l’homme en question. Sans s’en rendre compte, il se laisse entraîner dans un vrai traquenard. En suivant ce Silure, il est témoin de son assassinat. Il apprend alors que cet homme, conseiller municipal à Bondues, était un jeune loup de la politique. En pleine campagne électorale pour la Présidentielle, l’affaire ne sent pas, mais alors vraiment pas bon...


Philippe Govart, l’intrigue de Bondues sans confession se déroule à Lille pendant la Présidentielle de 2007. Vous n’êtes pas tendre avec le monde politique. Pourquoi ?

« Non, je m’en suis servi de toile de fond pour stigmatiser toutes les promesses qui sont faites lors des élections présidentielles. Ça s’apparente un peu à ce qu’on peut vivre dans un couple, où on fait prévaloir toutes sortes d’éléments qui s’avèrent un peu différents par la suite. C’est le parallèle que je souhaitais. »


L’éditeur vous définit comme « un observateur amusé de la vie politique nordiste »...

« Oui, tout à fait. La vie politique en générale, lilloise, a fortiori. C’est certain. J’ai eu 48 ans il n’y a pas longtemps et je constate énormément de choses, de dérives. Beaucoup d’élus sont extrêmement sérieux, mais ce n’est pas forcément le cas de l’ensemble de la population politique. »


En amour comme en politique, il y a des engagements qui ne sont pas tenus. Auloniade, la femme qui est le déclencheur de cette histoire sanglante, en fait l’amère expérience...

« Oui, c’est clair. Elle est trop pure, peut-être trop généreuse aussi. Systématiquement, elle se fait avoir par les personnes à qui elle donne sa confiance. »


Rainer Cloos, le (anti-)héros qui a été son compagnon, se définit comme un « chrétien désenchanté ». À travers lui, voulez-vous dire que vous avez perdu toutes illusions sur les gens?

« Je ne m’imagine pas dans un personnage. La plupart du temps quand on écrit un roman policier, il faut bien construire un plan avec des personnages qui s’inscrivent dans la logique de l’intrigue. Je n’ai pas voulu donner de message de cet ordre. Le vrai message a trait plus à la jalousie et au fait que c’est un sentiment ridicule. »


Pourtant, sur la couverture, on lit « polar nihiliste ». Il y a encore de l’espoir, alors ?

« La maison d’édition a mis ça, mais le personnage central (Rainer cloos) qui n’est pas un garçon très sympathique et qui se fait manipuler comme une bonne courge du début jusqu’à la fin, ben... trouve la rédemption. C’est intéressant d’en arriver là. À travers toutes les conneries qu’il a pu faire, il frôle la mort, il est seul, il arrive à revivre... »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée dans Croix du Nord le 06/08/2010

> Aux éditions Ravet-Anceau, 11 euros.


jeudi 29 juillet 2010

Coup de téléphone à Anne Mémet-Scrive. « La légende des Scrive », le roman anticonformiste d’une grande famille lilloise.


Anne Mémet-Scrive est née à Marcq-en-Barœul en 1945. Elle grandit à Mons, puis fait des études de maths à Villeneuve-d’Ascq, avant d’enseigner à Douai. Elle part ensuite dans la Nièvre, où avec son mari, elle élève des chèvres pendant une quinzaine d’années, tout en conservant son poste de professeur. Retraitée, elle vit aujourd’hui à Évian, où elle trouve enfin le temps d’écrire. Vendredi 9 juillet, nous nous entretenons par téléphone de son roman, La Légende des Scrive. Dans l’épilogue de celui-ci, elle explique : « Au départ, j’avais envie de m’inventer de tendres et nobles ancêtres, des ancêtres dans lesquels je me retrouve un tant soit peu ».

L’histoire. Au XIXe siècle, Antoine Scrive importe clandestinement d’Angleterre une machine à filer le lin. C’est le début d’un siècle et demi d’aventure économique qui va inscrire le nom des Scrive dans l’histoire du Nord de la France. Que de chemin parcouru depuis le XIVe siècle, en Italie, où un jeune homme quitte son village pour Florence, où il se fait un nom, Antonio Scrivia, et une spécialité, l’orfèvrerie. Avant de mourir, il laisse une lettre à son petit-fils, où il lui raconte sa vie et lui donne des conseils. De siècle en siècle, ses descendants perpétuent cette tradition épistolaire. C'est au fil de ces courriers entre pères et fils qu'Anne Mémet-Scrive réécrit librement l’histoire de sa famille, entre fiction et réalité.

Anne Mémet-Scrive, qu’est-ce que représente pour vous la renommée de votre famille ?

« Ça m’impressionne et à la fois, j’ai envie de dire que j’ai quitté le Nord pour m’éloigner de ce milieu bourgeois, dans lequel probablement je n’étais pas très bien ».

Est-ce que vous sentiez que ce nom changeait le regard qu’on portait sur vous ? À l’école, par exemple...

« C’était pesant, parce que j’étais dans des établissements religieux, où il y avait toutes ces demoiselles de la bourgeoisie et je ne me sentais pas toujours à ma place... Pour moi, c’était pesant. Je ne peux pas dire ni pourquoi, ni comment... »

La Légende des Scrive n’est donc pas un travail de mémoire ?

« Pas du tout. »

Qu’est-ce qui vous a donnée envie de l’écrire?

« Ce n’est pas mon premier livre. J’en ai écrit un autre qui a été publié en 2002. C’était le récit de mon pélerinage à Compostelle. J’ai aussi écrit des petites nouvelles, participé à des concours, où je me suis classée quelques fois. C’est là que j’ai réalisé que j’avais un outils à ma disposition. Outil auquel je ne croyais pas trop, étant prof de maths. En fait, ça me démange d’écrire. »

Au début de votre livre, vous prévenez que « l’imaginaire vient au secours du réel ». Que vouliez-vous dire ?

« En fait, il existe déjà une généalogie de la famille qui a été établie dans les années 1880, puis complétée au fur et à mesure. C’est dans ce livre d’ailleurs qu’ont été trouvées les photos de la couverture de mon roman. Donc, on a la généalogie de toute la famille. Il y a pas mal d’histoires écrites sur elle à partir de 1820. Au-delà, il y a une liste d’ancêtres pour lesquels on a seulement les dates, les noms, les métiers et les épouses. Ce sont eux que j’ai eu envie de faire revivre, parce que de ceux-là, on ne sait rien ».

Vous vous imaginez donc des ancêtres à votre façon...

« Voilà, c’est ça. C’est plus un roman qu’un ouvrage historique ».

On sent que chacune de ces « existences » est l’occasion de glisser des leçons de vie, notamment vis-vis de la famille...

« Oui. Dans mon idée, il faut quitter la famille pour se réaliser. Moi, je suis partie.»

Recueilli par Sébastien Arnold

Interview parue dans Croix du Nord le 30/07/2010.

> Aux éditions Ravet-Anceau, 15 euros.


samedi 17 juillet 2010

Rencontre avec Benoît Caudoux. Ne parlons pas que de la pluie et du beau temps.

Jeudi 1er juillet, 14 h 20. Benoît Caudoux corrige des copies du bac de philo dans le bar du Vieux-Lille où nous avons rendez-vous. Il pose son stylo pour parler de son roman, Sur quatorze façons d’aller dans le même café. Il y relate la quête de sens d’un homme déprimé par le manque d'humanité. Au café, il cherche à provoquer des rencontres qui vont au-délà du seul mouvement de façade. Fera-t-il tomber les murs ?

L’histoire. Sur quatorze façons d’aller dans le même café est le récit d’un voyage... au bistrot du coin. C’est un voyage, car le narrateur s’aventure hors des lieux communs. Dans un souci de fidélité, il refuse de tenir des propos sur lesquels tout le monde se retrouve et observe ce que ça provoque. Il cherche à réduire les distances qu’on met entre nous. On se parle sans être habité par ce qu’on articule, comme ça, chacun reste chez soi. C’est une sorte de logique sécuritaire. Lui, cherche à franchir le pas. Il joue d’une certaine étrangeté en espérant que l’autre laisse enfin échapper une expression non contrôlée et plus authentique de soi.



Benoît Caudoux, votre héros va au café, alors qu’il n’a pas le goût de la boisson. Qu’y cherche-t-il ?

« Il va chercher la rencontre du semblable. Il va chercher la vérité au café du coin. Il échoue assez souvent et ça renouvelle le truc. Il prend acte de ses échecs pour repartir. Ce sont plus des échecs sur les six premières tentatives et après, ça progresse. Les dernières façons sont un peu plus heureuses. Ce n’est pas un livre sur l’impossibilité des rapports humains. »


Poutant, ce rapport à l’autre n’est pas évident pour vous, non ?

« Oui, c’est un livre sur la difficulté de se comprendre. L’écriture, elle vient de là. On écrit de la littérature à partir de la difficulté de communiquer. On écrit parce qu’on lutte avec l’épaisseur du langage qui empêche qu’on puisse parler et s’exprimer. Ce n’est pas facile, c’est pour cette raison qu’on en vient à essayer dans son coin. »


Votre personnage dit que si ça ne tenait qu’à lui, comme on le ferait d’un dessert, il priverait les autres de monde. Pourquoi ?

« Il est excèdé à ce moment-là parce que tout le monde ne parle que de faits. Du bavardage, on en a besoin, on ne peut pas toujours être dans l’essentiel, mais c’est bon de savoir que l’autre est le même et qu’il y a quelque chose qui nous relie. S’il n’y avait plus le monde, on serait plus recentrer sur quelque chose d’un peu plus humain. Le monde est un excellent prétexte pour fuir notre réalité qui est d’être une conscience ».


Il croise un homme qui fabrique des machines bancales et qui bosse chez un opérateur de téléphonie mobile... Pour le coup, lui semble vraiment communiquer, non ?

« Oui, parce qu’il fait l’effort de ressentir vraiment les choses. Pourtant, il ne parle pas d’art, il ne théorise pas. Il parle de son job... Le but, ce n’est pas de dire qu’il y a des gens biens et des gens pas biens. Le but, c’est comment arriver à faire parler les autres sans se cacher derrière des montagnes d’opinions. Ce qu’il y a de pire dans le bavardage, c’est qu’on sait que l’autre s’en fout. Lui a cette étincelle à respecter un peu plus la vérité. Il fait aussi advenir de la vérité dans le discours des autres. C’est à partir de là que le narrateur sort de l’échec. »


Au début du livre, le héros marche dans la rue et tout lui semble incertain. Est-ce qu’il cherche à conjurer ce malaise dans la relation à l’autre ?

« Il cherche un sentiment d’appartenance, de partage, mais il joue aussi. Il joue de cette étrangeté. Il en souffre d’abord, mais il choisit de la pousser jusqu’à l’extrême en disant faisons comme si on était sur un terrain d’étude. Ce n’est pas une bête souffrante et révoltée. Il y a l’idée qu’on s’entoure de murs, parce qu’on veut à tout prix s’identifier. « Attention, moi je ne suis pas comme toi », « Dis-moi quel est ton lieu commun et je te dirais qui tu es ». Lui, refuse de s’identifier. C’est son jeu de se maintenir dans le flottement. Si je ne me construit pas un masque, qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je peux être sans me construire d’identité figée ? »


Le café est une sorte de laboratoire ?

« Oui, tout à fait. Il joue, mais ce n’est pas artificiel au sens où il en a besoin. On est devant quelqu’un, on lance un truc et on voit ce qui revient. Si on rit des même choses, on se touche, ça veut dire qu’on est le même. Si on ne veut pas s’enfermer dans un esprit de sérieux où on dit moi je suis ça et je pense ça, alors du coup, on est obligé de jouer, d’inventer. »


Qu’est-ce que la vraie relation ?

« La vraie relation, c’est accepter que l’autre puisse me changer. Tout le monde est tellement obsédé par l’idée de dire qui il est qu’on construit des murs. On s’enferme ainsi. On doit plus avoir une identité qui ne soit pas trop rigide, mais qui change et qui soit disponible. C’est ça être présent. Être au monde, c’est être affecté par lui. Si je veux être présent aux choses, il faut que j’accepte de ne pas être un bloc autonome. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 23/07/10.


mercredi 14 juillet 2010

J. Wouters nous éclaire sur son dernier livre. Gravelines blues est un polar à l’ambiance électrique.

J. Wouters vit à Gravelines. Professeur de français à la retraite, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture. Nous avons rendez-vous au bar Le 116, près du phare. On retrouve l’établissement dans Gravelines blues, son dernier roman, dont l’intrigue se déroule dans la microsociété des salariés d’une entreprise d’électricté, où imperceptiblement, la tension monte.

L'histoire. Fin de saison touristique agitée à Gravelines. Zélie, une mamie, est agressée dans sa cabane de plage. Un individu tente de perturber le son et lumière de la ville. Le lieutenant de police Jules Baudion, en vacances sur la côte, essaie de tirer ça au clair. Pour cela, il se fond dans la vie des habitants. Il se lie notamment avec Valentine et son petit-fils Martial. Son attention se centralise bientôt sur la Métafor and co, où travaille ce dernier. C’est une imprimerie qui produit sa propre électricité grâce à un réacteur nucléaire. Plusieurs pistes se dessinent : les écologistes, les chasseurs, à moins que l’explication de cette agitation soit beaucoup plus élémentaire...



J. Wouters, qu’est-ce qui vous plaît dans le genre littéraire polar ?

« Beaucoup de choses. Le sang, le meurtre en lui-même, je n’aime pas. Mais je suis intéressée par la question suivante : pourquoi et comment devient-on un assassin ? C’est ce qui me fait marcher. Je me rend compte qu’il ne faut pas grand-chose quelque fois pour basculer dans le meurtre. »


C’est un roman très gravelinois, mais il dépeint des passions qui sont universelles...

« Tout à fait. Le polar justement permet une analyse non seulement des ressors psychologiques qui font qu’à un moment donné on bascule dans le meurtre, mais ça permet aussi l’analyse d’un milieu. Ici, j’analyse l’univers des gens qui travaillent dans une centrale. »


Diriez-vous que le coeur humain est aussi instable que le cœur de la centrale de Gravelines ?

« J’espère quand même que le réacteur est très solide... Disons qu’un coeur humain peut avoir des ratés, comme peut en avoir un réacteur nucléaire. Mais bon, ici notre réacteur ne fabrique pas la bombe atomique non plus... D’ailleurs, j’ai déplacé le problème, je ne suis pas dans la centrale, mais dans l’environnement d’une grande imprimerie fictive, la Metafor and co, qui a un réacteur nucléaire. »


Il y a toujours chez l’autre quelque chose d’irréductible qui échappe à notre regard. Le boulot de l’écrivain, n’est-ce pas de deviner ces réactions imperceptibles ?

« Oui... C’est essayer de voir ce qui est habituellement caché. Je crois que c’est ça. Après si c’est juste, je ne sais pas, mais il y a parfois des correspondances étonnantes. »


Alors, comment peut-on en arriver à tuer ? Comment ça finit par exploser ?

« C’est toujours un sentiment exacerbé qui fait qu’on passe à l’acte. Dans mes romans, c’est souvent un sentiment de haine ou d’amour. Dans la mythologie, il y a plein de meurtres qui sont commis à cause d’une volonté exacerbée d’exercer le pouvoir. Ça vient d’un sentiment qui a moment donné devient tellement insupportable qu’il ne peut être surmonter autrement que par la suppression de celui qui est en face de soi. Le polar a pris le rôle du théâtre du XVIIe siècle. Il a un rôle de catharsis. On était comme soulagé de pouvoir voir tuer son voisin sur la scène. Dans le polar, ça fait du bien au lecteur, et à l’auteur, de faire ce qu’il ne pourra jamais faire dans la vie, parce qu’il y a des règles sociales et morales. »


Recueilli par Sébastien Arnold

Interview publiée dans Croix du Nord le 16/07/10.

vendredi 2 juillet 2010

Amélie Debaye présente son premier roman. Dans Les Sœurs Fernig, elle retrace l’épopée de deux héroïnes de la Révolution.

Amélie Debaye vit à Escautpont. Le 18 juin, nous avons rendez-vous sur la place d’Armes à Valenciennes. Une date et un lieu de circonstance. Dans un café, nous évoquons son roman, Les Sœurs Fernig, consacré à deux jeunes Nordistes qui prirent les armes pour résister à l'oppression durant la révolution française.
Amélie Debaye est très attachée au Nord. Elle n’apprécie pas l’image que trop souvent les gens en ont. Dans ce livre, elle montre que « l’histoire de la région ne s’arrête pas à Germinal ».
L'histoire. En 1792, trois ans après la prise de la Bastille, l’armée autrichienne est aux frontières. Dans ses rangs, les royalistes français qui ont fui le pays rêvent de rétablir la monarchie et leurs privilèges. Les citoyens prennent les armes pour résister. Près de Valenciennes, les accrochages avec l’ennemi sont nombreux. Deux adolescentes de Mortagne-du-Nord, Félicité et Théophile Fernig, se déguisent en homme pour pouvoir participer aux combats. Bientôt, elles se font remarquer par leur témérité. Des frontières du Nord à la bataille de Valmy, elles iront jusqu’au bout.

Amélie Debaye, comment l’idée de ce livre vous est-elle venue ?
« J’aime beaucoup l’histoire et surtout l’histoire de la région. C’est dans un petit paragraphe du livre de Raymond Durut, Bruay-sur-l’Escaut à travers douze siècle d’histoire que j’ai entendu pour la première fois parler des sœurs Fernig. Mon grand-père est de Mortagne comme elles. On aimait beaucoup aller là-bas et je ne savais pas qu’elles existaient. C’est de là qu’est venu mon intérêt. En plus, c’était des femmes-soldats... Elles ont eu un destin extraordinaire et j’avais envie de le raconter. »

Vous avez dû faire un véritable travail d’historienne, non ?
« Oui, j’ai fait des recherches avec le Cercle historique de Mortagne, dans les livres d’histoire, dans les archives du Nord, dans celles de Valenciennes aussi... Mais comme ça m’intéresse vraiment, pour moi, ce n'est pas du travail. Aller aux archives, j’adore ça, lire, j’adore ça. »

Qu’est-ce que vous aimez lire ?
« J’aime beaucoup Alexandre Dumas. Les auteurs du XIXe... Les auteurs historiques également... En fait, je me reconnais plus dans le XIXe siècle que dans l’époque actuelle. Mon livre de chevet, c’est Le Comte de Monte-Cristo. Si ma maison devait brûler, j’emporterais ce livre. »

Le roman historique mêle des faits réels et des faits imaginaires. Dans quelle mesure avez-vous romancé ?
« Les grands faits historiques y sont, mais c’est vrai que pour la vie de tous les jours, c’était difficile. Il fallait les imaginer dans leur époque. Mais je ne pense pas non plus qu’il y ait une grande différence avec aujourd’hui. Je pense c’était des gens qui vivaient comme nous. Les historiens parlent de faits historiques, auxquels ils n'ont pas assisté. C’est toujours une interprétation. »

Vous dites qu'elles vivaient comme nous, mais elles avaient une énergie que nous n’avons pas...
« C’était l’époque. La Révolution pour beaucoup de gens, c’est Robespierre, la guillotine, mais ce n’est pas que ça. Il faut rendre hommage à cette génération qui voulait changer les choses. Il fallait voir ce que c’était avant : les impôts, les privilèges, etc. Je pense qu’on l’oublie un peu facilement. »

On a l’impression que les sœurs Fernig obéissaient à une force qui les dépassait. Félicité, l'aînée, dit d’ailleurs que « ses jambes n’avaient pas besoin de sa tête pour avancer »...
« C’était le mouvement général de la Révolution. Il y a eu en masse des jeunes qui sont partis se battre. Le mot Liberté, aujourd’hui on a oublié ce qu’il voulait dire, mais à cette époque-là, il façonnait. »

Est-ce que cet élan irrésistible ne leur a pas également joué des tours ?
« À cette période, tout bougeait très vite. Elles étaient proche du général Dumouriez. C’était comme un père pour elles. Elles l'ont suivi sans réfléchir. Elles n’ont pas réalisé tout de suite ce qu’elles faisaient... On parle de la trahison de Dumouriez, mais moi, je ne vois pas ça comme une trahison. »

Les Autrichiens les imaginaient comme des sorcières...
« Oui, elles faisaient peur. Même après, quand elles ont voulu revenir à Mortagne, les Français n’ont pas voulu d’elles, parce qu’ils avaient peur de l’influence qu’elles pourraient avoir dans l'armée. »

Elles étaient femmes-soldats, étaient-elles aussi des suffragettes ?
« On va dire qu'elles ont été élevées un peu plus librement que les filles de l’époque. Elles ont pris les armes en même temps que les hommes. Pour elles, je pense qu’il n’y avait pas de différence entre être un homme et une femme. Il fallait y aller. Elles étaient pour l’égalité.»

Recueilli par Sébastien Arnold
Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 09/07/2010.


mardi 29 juin 2010

Rencontre avec Jean-Louis Fournier. Dans son dernier roman, Poète et paysan, il se souvient de son passé d'ouvrier agricole.

Mardi 15 juin 2010 à 15 h. Jean-Louis Fournier entre dans les locaux de l’hebdomadaire Croix du Nord, à Lille. Réalisateur de télévision et écrivain, il a notamment tourné La Minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, l’émission avec Pierre Desproges. Il vient de publier Poète et paysan chez Stock, un roman autobiographique. Dans ce livre drôle, il parle de lui, mais aussi de nous. En effet, bien souvent, nos passions nous égarent. Pourtant, nous sommes prêts à tout leur sacrifier, avant d’être ramené, souvent brutalement, à la réalité…
L’histoire. Un étudiant exalté, par passion pour une fille d’agriculteur, décide de reprendre l’exploitation familiale. Le seul hic, c’est qu’il n’est pas du tout préparé à la réalité du métier. Mais rien y fait, il abandonne tout pour cette tocade. Il délaisse la vie parisienne, les expositions, le cinéma, ses études, pour devenir agriculteur dans une ferme du Pas-de-Calais. S’est-il fait un film ? Sa nouvelle vie commence… par le commencement : ouvrier agricole. Il découvre alors que « quand le poète rime, le paysan trime ».

Jean-Louis Fournier, on vous connait écrivain, réalisateur. Ouvrier agricole, on ne savait pas. On a l’impression que cette parenthèse de votre vie est un mystère pour vous aussi…
« C’est-à-dire un mystère… ? »

C’est-à-dire que vous ne comprenez pas comment vous avez pu faire ça…
« Oui… parce que j’ai dû prendre cette décision dans un état second et qu’après j’ai dû assumer, parce que j’avais décidé de faire ça. Mais c’est vrai que je n’ai pas encore bien compris pourquoi j’avais accepté. Si j’avais eu toute ma lucidité, il est évident que je n’aurais pas choisi de partir être ouvrier agricole dans le Nord de la France, compte tenu que j’ai toutes les qualités pour ne pas l’être. Je suis l’inverse de ce que pourrais être un bon agriculteur. »

Pourtant, sur la couverture, vous écrivez « Jean-Louis Fournier est capable de tout »…
« Ah ! ce n’est pas moi qui ai écrit ça, c’est l’éditeur ».

À la lecture de cette phrase, on pourrait pensez que vous ne doutiez de rien, alors qu’en vérité, vous n’étiez sûr de rien…
« Vous avez tout à fait raison, je doute de tout et j’espère rester jusqu’à la fin de mes jours dans le doute. Le doute, c’est quelque chose d’extraordinaire. Oscar Wilde a dit : « Quand on a des certitudes, on arrête de penser. Quand on a des doutes, on continue à chercher ». Je continue donc à chercher et à ne pas trouver ».

Vous étiez un peu paumé. Est-ce que vous pensez qu’il faille se perdre pour se trouver ?
« C’est vraisemblable. C’est en prenant des tas de chemins buissonniers qu’on risque de trouver tout d’un coup le vrai chemin. Le vrai chemin, il n’est jamais aussi évident… Je ne pense pas que ce soit l’autoroute, le vrai chemin. Donc, c’est aller chercher ailleurs… (il réfléchit) Et puis, qu’est-ce qu’on trouve ? Est-ce qu’on trouve ? Moi, je n’ai encore rien trouvé. On essaie d’être heureux, c’est le devoir de tous les êtres humains. C’est ce que j’ai essayé d’être avec plus ou moins de bonheur. Moi, je pense toujours que je vais être heureux demain. Mais demain, c’est toujours demain… »

Dans le livre, vous enviez le bonheur d’une vache. Elle n’est que ce qu’elle est, mais elle sait où est sa place dans l’ordre des choses…
« J’adore les vaches… La vache, elle ne se révolte pas. La vache, elle est calme. Elle rumine… elle a l’air de vivre en harmonie avec tout le monde. Elle ne s’indigne pas. J’ai l’impression même qu’elle vit en harmonie avec les bouchers. C’est quand même de sa part une grande générosité, parce que le boucher la découpe. Moi, je serais une vache, je ne serais pas ami des bouchers. »

Enviez-vous un peu son fatalisme ?
« Oui, un peu, même si je n’aime pas le mot. Il faut arrêter de vouloir tout changer. On n’arrive à rien changer. Il faut accepter le monde comme il est. Moi, j’ai toujours voulu tout changer, mais j’ai l’impression qu’il faut faire avec et c’est comme ça. On peut quand même trouver des moments de bonheur ainsi… »

Diriez-vous donc que la maturité, c’est être désillusionné ?
« La maturité, je ne sais pas très bien ce que c’est. J’espère ne jamais avoir la maturité, parce que ceux qui l’ont sont assez ennuyeux. J’aime bien rêver toujours. Imaginer des choses impossibles. Mon ami Desproges parlait de la maturité… Il disait « T’est mûr et puis après t’est pourri ». C’est très compliqué… La maturité, c’est accepter le monde, moi, il y a des tas de choses que je n’accepte pas. »

Dans ce roman, vous sublimez sans cesse la vie, les paysages deviennent des tableaux de maîtres, la machine à tricoter un clavecin, comme si vous n’acceptiez pas sa banalité…
« Oui, c’est pas possible ça… J’aime bien un peu transformer tout. Je ne supporte pas la platitude de la réalité, alors j’essaie de l’enjoliver. Cela dit, il y a une réalité que je ne me sens pas capable, ni obliger d’enjoliver, c’est la nature que je trouve exceptionnelle. Par moment, je décris une nature qui est un peu hostile et en même temps, j’ai une admiration forcenée pour la beauté du monde.
La nature, c’est quelque chose d’excessivement important. Elle garde un pouvoir formidable. Les plantes, les arbres, c’est fascinant. C’est un réservoir de choses exceptionnelles et de vacheries aussi. Ce n’est pas une bonne fée non plus. C’est ça que j’ai voulu montrer dans mon livre. Le cultivateur, ce n’est pas quelqu’un qui regarde pousser ses plantes en remerciant le ciel. Il bosse comme un fou. »

Nietzsche, un philosophe, pensait que l’illusion est un besoin. Qu’en dites-vous ?
« Bah, bravo Nietzsche ! Je trouve que c’est très important. En plus, la réalité, qu’est-ce que c’est ? Chacun voit une réalité différente. Un champ pour un cultivateur, c’est pas un champ vu par un poète et c’est pas un champ vu par un peintre. Il voit chacun champ différent. Moi, quand je vois les choses, j’ai tendance à mettre des mots pour les décrire. Ce que je décris en mots est plus vrai que les choses qui existent. Et c’est ça qui est formidable dans la littérature. On éternise des choses extraordinaires. »

Le paysan n’est pas dans cette démarche. Pour lui, une vache est une vache…
« Je pense qu’il ne poétise pas la réalité comme je le fais. Il a une réponse objective à apporter. Une vache, c’est fait pour faire du lait, les champs pour faire du blé. La nature est réduite à quelque chose qui doit produire. Il doit l’utiliser au mieux, mais il ne s’offre pas le luxe de poétiser comme moi. Quand le poète rime, le paysan trime. On ne peut sans doute pas faire les deux en même temps. Moi, j’étais plus là pour rimer. Cela dit, j’ai quand même nettoyé la litière des vaches… »

Propos recueillis par Sébastien Arnold
Interview publiée en partie dans Croix du Nord le 02/07/2010
Crédit photo : Émmanuelle Hauguel