Lucien Suel publie de la poésie depuis trente ans. Son premier roman, Mort d’un jardinier, est paru en 2008. Dans le même temps, il est invité à faire une résidence de six mois à l’Établissement public de santé mentale d’Armentières pour produire une œuvre littéraire qui parle du traitement de la douleur mentale. L’aboutissement de ce projet prendra la forme d’un second roman. La Patience de Mauricette raconte le passage d’une femme dépressive à l’hôpital psychiatrique.
L’histoire. Mauricette Beaussart a disparu de l’hôpital. On prévient Christophe Moreel, un proche, de sa disparition. Même lui ne sait pas où elle est. Mauricette est une femme secrète et dépressive chronique. Christophe l’a conduite à l’hôpital d’Armentières, après l’avoir découverte en crise chez elle. Prise en charge par les médecins du secteur G18, elle y retrouve sa lucidité avant de disparaître. Au travers d’extraits du cahier que lui a donné une psychologue et de flash-back, on découvre la vie de cette ancienne institutrice. Sa rencontre avec Christophe, son enfance entre Deûlémont et Haverskerque, l’amitié secrète qui explique sa disparition, jusqu’à la faute insurmontable devant laquelle son esprit s’effondre régulièrement...
Lucien Suel, comment s’est déroulée votre immersion dans l’hôpital ?
« J’avais un bureau à l’étage du G18. C’est un service de psychiatrie générale qui accueille une trentaine de patients. J’avais les clés et je pouvais me promener librement. Je pouvais assister aux réunions de l’équipe où on discutait des cas. Ça me donnait des indications pour ne pas inventer. J’ai participé aux exercices. J’allais régulièrement dans la salle d’arts plastiques. J’ai fait le jardin avec eux. J’ai vraiment partagé la vie de l’équipe. »
Vous donnez une image moderne de la psychiatrie...
« Je ne prétends pas que c’est comme ça partout, mais dans le service où je me trouvais, la description est réelle. C’est comme ça que ça se passait. Ce qui m’a frappé, c’est une réelle attention du personnel, aussi bien pour les patients que pour leur famille. Ce livre n’est pas un roman de commande. »
À l’hôpital, Mauricette va et vient. Vous décrivez un lieu ouvert...
« Je sais qu’il y a un secteur qui est totalement ouvert, où le médecin-chef refuse que les portes soient fermées à clés. Là où j’étais, au G18, il y a avait un règlement qui faisait que la nuit, c’était fermé. Mais dans la journée, certains patients vont en ville, accompagnés ou seuls. On n'est pas dans l’enfermement généralisé. N’importe qui peut aller se balader dans le parc de l’hôpital. La psychiatrie a évolué et va encore évoluer. »
On a encore cette image : on sait quand on entre, pas quand on ressort...
« Je savais que j’avais une image fausse de l’hôpital, mais je ne pensais pas qu’elle était fausse à ce point-là. Les gens qui sont internés, même d’office... ça existe encore à la demande de la famille ou du préfet, ne le sont jamais plus de trois semaines. Après, soit ils partent dans un autre circuit, soit ils retournent à la vie normale. Ce que j’ai appris aussi, c’est que 90 % de l’action se fait hors de l’hôpital, dans les appartements thérapeutiques, les maisons communautaires, les hôpitaux de jour, etc. Le personnel soignant est toujours en déplacement... »
Quand Mauricette disparaît, ça ne déclenche pas d’inquiétude ...
« Oui, c’est la vie quotidienne du service de psychiatrie générale. Maintenant, dans l’établissement, il y a lieu fermé appelé l’Intersecteur, où on accueille des gens qui ne peuvent pas vivre en société. »
Recueilli par Sébastien Arnold
Interview publiée dans Croix du Nord le 27/08/2010.
Aux éditions de La Table Ronde, 18 euros.